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L'Allitération, du virelangue à la paréchèse

          L'allitération, figure de style bien connue des professeurs de français se définit simplement comme la répétition du même son dans une phrase.
          Ce son, phonème unique (comme le "t" dans Ton thé t'a-t-il ôté ta toux) ou composé (comme le "g+r" de Gros gras grain d'orge) ou encore alterné (comme le "ch" et le "s" d'Un chasseur sachant chasser) est plus souvent de type consonnantique.
          La répétition des phonèmes vocaliques entraîne en effet plus de choses et aboutit plutôt à l'homéotéleute, qui, lui, truffera une phrase de rimes ou d'assonnances internes (comme Souffrant d'épilepsie je bois un Pepsi en allant chez mon psy). C'est le stade au-dessus ou à côté : un autre jeu.

          Quand on veut citer une belle allitération, on saute toujours à pieds joints sur : Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes, célèbre vers de Racine (Andromaque). Sans se douter qu'il s'agit d'une pure paréchèse.
          La paréchèse est la phase la plus inspirée de l'allitération: celle où l'auteur, inconsciemment, a illustré le fond par la forme en réalisant une cohérence parfaite. Pourquoi la répétition du "s" dans le vers de Racine ? Evidemment, parce que "sss" est le cri du serpent. Mais encore fallait-il y penser...
          Pour montrer que cette coïncidence entre ce qui est dit et la musique pour le dire n'appartient pas qu'à la grande littérature, citons le célèbre Boby Lapointe : Ta katie t'a quitté, Cuite-toi t'es cocu, T'as qu'à t'as qu'à t'cuiter ! Qui parle ici ? Un réveille-matin, sorte de Jimmi Cricket du personnage central, qui a justement du mal à se réveiller (Igor hagard, un Russe blanc qu'est noir). Les conseils de sa conscience sont donnés en langage mécanique (Tic tac tic tac, Ta tactique était toc). D'où le choix de l'allitération "t-k" "t-k". Cohérence suprême.
          On peut penser qu'une paréchèse commence à tomber toute seule sous le stylo du poète, mais que celui-ci la cultive dès qu' il en devient conscient.
          Le virelangue est le stade préhistorique de l'allitération, la création instinctive de l'enfance qui adore le charabia. On épate les copains en prononçant très vite un texte qui, de ce fait, devient incompréhensible; ou bien on se jette un défi, on fait un concours de prononciation. D'où les panier/piano, les chaussettes de l'archiduchesse ou les Suis-je chez ce cher Serge. Le jeu sur la langue (virelangue = langue qui vire) l'emporte sur la signification.
          Le tautogramme est une variante littéraire du virelangue: le phonème choisi pour l'allitération doit se situer au début des mots. Celle figure de style exclut donc tous ceux qui ne la possèdent pas : Voici venir vingt vampires verts ! (Yack Rivais).
          MODE D'EMPLOI DE L'ALLITÉRATION :

          On choisit un phonème (consonne de préférence) et on prend cinq minutes pour écrire sur une feuille tous les mots qui le possèdent et qui viennent à l'esprit naturellement.
Dans un deuxième temps, muni de cette "banque" de mots (qui reste ouverte), on construit une ou plusieurs phrases.
          Si ces phrases sont constituées d'une évidente majorité de mots possédant le phonème et d'une faible minorité (articles, prépositions) de mots ne pouvant le contenir, on est dans le virelangue.
          Si ces phrases présentent un équilibre harmonieux entre la phonétique privilégiée et le reste, on va peut-être vers l'allitération poétique de type signifiant. Et si cette phonétique est en rapport avec le fond, on a gagné: on est dans la paréchèse (oh ce cri de la craie qui crisse lorsque j'écris !).
© Chantal Grimm, tous droits réservés.
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